L'exil du président
portugais Teixeira-Gomes à Béjaia
Après avoir tiré sa révérence au monde politique,
en démissionnant de son poste, le premier président de
la république du Portugal, M. Manuel Teixeira Gomes (1923-1925),
a choisi de s'établir à Béjaia (1931).
Il y est resté jusqu'à sa mort, dix années durant,
consacrant son temps à la contemplation, l'écriture et
l'échange épistolaire. Initialement la capitale des Hammadites
ne devait constituer qu'une étape de son long périple
maghrébin, mais sitôt arrivé, le charme de toute
la région et la simplicité de ses habitants l'ont résolu
a s'y ancrer.
"Le charme de la mer,à lui seul, a contribué énormément
dans ma décision de rester dans cette ville, une sorte de sinatra
au bord de mer, mais plus accidentée et plus riche en promenades
agréables : "Bougie est une terre d'élection",
confiait-il dans une lettre à son ami fidèle, Joachim
Laydao.
Poète au romantisme à fleur de peau, Teixeira Gomes a
trouvé assurément en Béjaia l'endroit rêvé
pour se reposer, se ressourcer et qui lui permettait par dessus tout
de rompre avec le souvenir des années d'épreuves passées
au Palais de "Belem", la résidence présidentielle.
Il en a été marqué et épuisé, et
en est sorti rempli d'amertume. "Il s'agissait d'un immense gâchis
que j'ai traversé miraculeusement sans m'y noyer", confiait-il.
Le contexte dans lequel il avait présidé aux destinées
de son pays avait été marqué, en effet, par une
scène politique tumultueuse, secouée autant par les velléités
de retour des tenants de la monarchie déchue que par les prétentions
affichées des partisans de la dictature, qui n'ont pas tardé
d'ailleurs à s'emparer des racines du pouvoir.
Contrarié dans son projet de fonder une véritable république,
il finit par jeter l'éponge. C'était aussi une époque,
ou, du fait de ses charges, il a vécu amputée de tout
ce qui faisait sa fascinante singularité: ses passions pour les
livres, l'écriture, les arts et surtout les voyages qui ont forgé
en lui une sensibilité rare.
Ne à Portimao en mai 1860, il a vécu constamment au gré
de ses inspirations, cultivant ses penchants pour les valeurs de liberté
et ses goûts artistiques. Les nombreux voyages entrepris a travers
l'Europe, le Maghreb et le Proche Orient alors qu'il était encore
enfant, puis son passage à l'université ont fini par révéler
en lui une réelle grandeur et un universalisme certain. Il appréciait
particulièrement la culture orientale et "l'ivresse de la
poésie arabe". Ce sont ces prédispositions qui lui
ont permis, par ailleurs, de se fondre dans son nouveau cadre de vie
bougiote installé dans la chambre "13" de l'hôtel
"L'Étoile", situé Place du 1er novembre (ex-Place
Gueydon), il a "vécu les joies et les tristesses" des
habitants de la ville, jugés fort "aimables" et qui
éprouvaient à son égard "une affection particulière".
D'aucuns ont gardé de lui le souvenir d'un homme affable, élégant,
souvent vêtu de blanc et portant un couvre chef. Chaque matin,
il avait pris le pli de venir s'attabler à une terrasse de la
Place Gueydon, le journal à la main, scrutant pendant de longs
moments, le magnifique paysage qui s'offrait à ses yeux. Un rituel
qui répondait en vérité à une pulsion nostalgique
au cours de laquelle il prenait plaisir à suivre le mouvement
des bateaux entrant en rade. "C'est mon heure portugaise. Je l'ai
appelée ainsi parce que c'est l'heure à laquelle je reçois
le courrier de mon lointain pays. J'apprends les nouvelles de mes amis,
de mes filles et de mes petits enfants que je n'ai pas connus... C'est
l'heure la plus heureuse de ma vie", confiait-il encore.
En vérité, M. Gomes sortait très peu de sa chambre,
notamment les dernières années de sa vie, il se sentait
"fatigué". Son isolement délibéré
néanmoins était exploité à bon escient pour
écrire, se montrant aussi prolixe que talentueux, enchaînant
en un laps de temps court, chroniques, théâtre, contes
et romans. "Une personnalité unique de la culture portugaise
de son époque", selon l'institut Camoes. Prosateur, il a
signé en effet à Béjaia ses plus belles œuvres
dont "Lettres à Colombo" (1932), "Maria Adélaïde"
(conte-1938) et "Carnaval littéraire" (1939). Une longue
œuvre qui traduit "une vision du monde tranquillement épicurisme",
souligne l'institut Camoes. Sorti de son enfermement, M. Gomes s'adonnait
à de longues promenades À travers les hauteurs de la ville.
Des promenades qui l'emplissaient de bonheur : "Je regarde la mer,
les montagnes, les paysages avec la curiosité d'un ressuscité".
Le 18 octobre 1941, il rendit l'âme et ce n'est que neuf ans plus
tard que son corps a été rapatrié à Portimao.
La chambre "13" qu'il a occupé est, depuis, un lieu
de pèlerinage, accueillant, régulièrement, des
délégations de son pays dont la plus illustre aura été
celle conduite par le président Soares.
Tout récemment, elle fut visitée par le ministre portugais
des travaux publics et du logement, M. De Oliveira. Pour les Béjaouis
le vœu, pour pérenniser sa mémoire, reste le jumelage
de leur ville avec celle de Portimao.