UNE HISTOIRE D'EAU !

Récemment, une Bougiote en « pèlerinage » dans sa ville natale, Bougie, nous interrogeait sur l’origine des bâtiments, en ruine actuellement, qui se situent  à droite en arrivant aux Aiguades lorsque vous  venez par la route. Ces bâtiments sont visibles sur la carte postale que nous reproduisons ci-contre et la photo dans leur état actuel .

Faute de pouvoir consulter des documents officiels, nous avons dû nous plonger dans la presse locale, assez précise d’ailleurs, de ces époques et faire appel aussi à quelques « Vénérables  Bougiotes » : notre Mémoire.

 

A droite, un extrait (d'une carte postale colorisée - certainement des années 1940) de ces bâtiments.

Le premier bâtiment, où il y a une grande cheminée, abritait le fameux moteur SULZER (1) à gaz pauvre (2) qui actionnait la pompe de refoulement et de remontée de l’eau de la source des Aiguades par le haut de Bouak, vers la ville de Bougie.
L’eau était stockée dans les anciennes citernes romaines qui se situaient près de la porte du Gouraya en arrière de l’hôpital, rue des Citernes. A son arrivée sur le haut de Bouak, la conduite cheminait le long d’un sentier sur la crête qui dominait la baie de Sidi Yahya. Enfant, lors de nos sorties dominicales qui pouvaient nous conduire vers le cap Bouak, nous délaissions les adultes et suivions ce sentier. Nous le prenions après la cité Bellevue (ancienne cité Floch), passé le virage survolé par les wagonnets sur câbles aériens qui alimentaient le four à chaux de la Brise de Mer.
Et on en vient à parler tout naturellement de l’ALIMENTATION EN EAU DE BOUGIE depuis les temps lointains :
L’approvisionnement en eau de la ville a toujours était source (c’est le cas de le dire) de problèmes pour les  municipalités qui se sont succédées.
A l’origine, cette alimentation se faisait par de nombreuses résurgences  en provenance du Gouraya. Au début du 19ème siècle, au moment de l’occupation française et jusqu’en 1876, la ville fut alimentée par ces sources du Gouraya : Fort Rouge, Romane, Sidi Touati, Clauzel et d’autres encore. Elles étaient de faible débit et devinrent vite insuffisantes face à  l’accroissement de la population (15.000 habitants à cette époque). Cette eau alimentait de nombreux petits réservoirs individuels et aussi des fontaines publiques. Dans l’imagerie ancienne, nous citerons celles du quartier des Cinq Fontaines (carte postale ci-dessous).

 

A cet effet  le maire, M. Pierron (de 1873 à 1877) ancien commandant d’armes, fit construire après bien des difficultés, la conduite d’eau des Aiguades avec la fameuse pompe élévatoire dont nous parlons ci-dessus, (la source étant située trop bas par rapport à la ville). Il fit dans un même temps restaurer les anciennes citernes romaines de Sidi Touati (cinq en tout) de façon à avoir une réserve d’eau suffisante qui assurerait une alimentation continue en cas de réparation sur les conduites d’emmenée d’eau (environ 5 millions de litres).

Il n’y eu jamais une vraie politique de recherches des sources du Gouraya, comme le signalait un "hydrologue" de l’époque Lucien Ferlay. Il faisait paraître  des articles très critiques dans la presse locale face à l’incurie de la Municipalité. Il ne fut jamais écouté, ses rapports restant lettre morte.
La population allant toujours en croissant, ces sources devinrent encore insuffisantes. La pompe des Aiguades de plus en plus capricieuse ; elle créait des soucis d’entretien à la municipalité jugeant cet apport d'eau insuffisant et onéreux. Elle fut abandonnée début des années 1920 puisque le matériel fut mis aux enchères en 1927 (en 1933 il n’était pas encore vendu !). C’est un M. Gaspard Abram qui pendant dix ans veilla au bon fonctionnement de cette machine.
Quelques anecdotes sur ces sujets « brûlants » à l’époque. En 1907, par un avis municipal, la population est informée que la ville sera privée d’eau, la conduite de Toudja étant coupée et celle des Aiguades ne marchant pas ! Dès l’annonce reçue, la population se précipita avec force bidons, arrosoirs, gargoulettes et autres récipients, aux citernes pour y faire provision. Une mémorable bousculade s’ensuivit qui marqua l’histoire de Bougie. Des tuyaux manquaient pour réparer la conduite de Toudja. La raison en venait à l’état désastreux de ceux-ci, percés comme des marmites à couscous (dixit la Presse), et le manque flagrant d’entretien par les municipalités qui se succédaient. On appela cette journée la « Journée des bidons ».
Bougie revécue cela en 1930 suite à une tornade qui s’abattit sur la région endommageant les conduites.
Mais il fallait continuer à prospecter et à innover. La ville avait besoin de plus en plus d’eau.
Dés 1892, un certain M. Coing un entrepreneur qui participait à l’entretien de la pompe des Aiguades, parlait déjà d’arrêter cette pompe et d’emmener cette eau à Bougie sans machine ! Etait-il visionnaire ? En 1929, après que la corniche de contournement (3) du cap Bouak fut réalisée, un projet vit le jour pour la mise en place d’une nouvelle conduite empruntant cette corniche pour l’amenée des eaux par gravitation, système proposé par nos « Spécialistes ». Ces travaux furent réalisés au cours de l’année 1931. Seront à la même époque remises en état les sources de Romane et Clauzel.
Cette eau était acheminée par une conduite en fonte de diamètre 120, qui circulait ensuite sous le revêtement de circulation de la corniche du cap Bouak. Certains s’en souviendront car cette conduite affleurait à certains endroits. Elle continuait ensuite le long de la baie de Sidi Yahya pour se terminer en contre bas du square, que nous appelions «Square de la Sous-Préfecture », et déversait cette eau dans deux grandes citernes de stockage en béton et de forme cylindrique. Elles étaient bien visibles en contre bas de ce square et en arrière de la porte Sarrazine. Cette eau, à l’époque, alimentait la Marine, le Port et les quartiers bas de la ville. La pression était nettement insuffisante ce qui créait pas mal de problèmes dans la distribution.  L’ingénieur qui veillait au bon fonctionnement de cet ensemble de la source des Aiguades, était un M. Cevaneski  (4). 
Pour compléter cette « histoire » de l’alimentation d’eau à Bougie, il faut rappeler qu’en 1892, un projet d’amenée des eaux de Toudja (source d’Aïn Seur) (6) fut envisagé. Les communes concernées par Toudja durent abandonner un cinquième du débit pour l’approvisionnement de Bougie. Ce projet aboutit en 1896 sous la municipalité de M. Clément Martel, un habile gestionnaire. C’est une conduite d’environ 21 kms de tuyaux en fonte, dont une partie passait par le tunnel construit par les Romains en arrivant sur les hauts de la ville par relevage naturel (certainement par l'effet belier), qui fut mise en place par les Ponts & Chaussées. Ouvrage très technique face à la faible différence de niveau jusqu’aux citernes.
Ces alimentations, Aiguades et Toudja, furent renforcées en 1935, quand la ville fut reliée par le branchement des sources de Kéfrida (5) (au dessus de Darguinah).  Il était temps car Toudja nécessitait une remise en état complète ainsi que celle des Aiguades. Pour Toudja, la nature sulfatée des terrains, que traversait la canalisation, était à l’origine de la corrosion extérieure entrainant des perforations aux tuyaux. La aussi, la Municipalité ne tint pas compte d’avis d’experts d’Alger qui avaient préconisé le relèvement de la conduite et son goudronnage extérieur. Un important volume d’eau était ainsi perdu. La Municipalité ne vivait que dans le futur : « Kéfrida » ! Le Contribuable était donc sollicité.
Ce même hydrologue, M. Ferlay (7) dénigré pendant longtemps par la Municipalité, avait proposé à maintes reprises d’étudier des projets tel celui du pompage par filtration des eaux de la Soummam (voir article Kéfrida).
Bien entendu, il faut lire la Presse de l’époque pour se faire une idée du climat qui pouvait régner durant ces années. Il y avait de quoi faire.
Nous devons rajouter, mais sans aucunes archives à proposer, qu’une dernière adduction d’eau fut engagée sous la municipalité de Jacques Augarde : celle de l’Oued Djemaa. Cet oued traverse l'ancien domaine Poizat peu avant le Cap Aokas. Entre Kéfrida et Djemaa ne fut assuré que l’entretien des réseaux existants. Nous pouvons aussi préciser qu’à la suite de Djemaa, et jusqu’à ce jour, aucun projet n’aurait vu le jour ! 

NDLR - Voici rapidement ce que nous avons pu reconstituer sur l’approvisionnement en eau de notre Ville. Nous nous sommes basés principalement sur la Presse de l’époque, d’un extrait du livre « Bougie la Perle de l’Afrique du Nord » de Louis Salvator de Habsbourg, Archiduc d’Autriche lors d’une escale à Bougie en 1897, d’autres documents découverts sur Internet et de maigres témoignages.

 

Voici une photo récente d'une des deux citernes qui existe encore

Sur ce tableau peint par Roland Atlan on apperçoit bien les deux citernes dont nous parlons dans le texte.

Extrait de la carte postale qui a servi au tableau ci-dessus

 
 
  1. Entreprise d’origine Suisse (Winterthur) fondée en 1834. Sulzer démarra dans la fonderie de pompes principalement puis travailla en collaboration avec R. Diesel pour les moteurs. Il se spécialisa, au fur et à mesure de l’accroissement de sa société, dans la fabrication de gros moteurs et turbines. Entreprise de dimensions internationales qui s’est diversifiée depuis dans l’industrie pétrolière, hydrocarbures, production d’énergie, automobile, aviation, marine, ferroviaires, papier et cellulose, etc.
    Gaz pauvre : mélange de monoxyde de carbone et d’hydrogène avec un rendement de 80%. Gaz obtenu selon le principe du gazogène (à partir de la combustion du charbon de bois).          
    En 1899 un premier projet de construction de cette corniche à des fins touristiques, avait été refusé par le Génie Militaire pour des raisons de « défense » de la ville ! Cette corniche fut certainement réalisée par ce même Génie militaire bien après 14/18. Il se disait que c’étaient les militaires, condamnés aux travaux forcés pour des raisons diverses, et qui étaient détenus dans le « pénitencier » du Gouraya près du plateau des Ruines, qui y « oeuvrèrent ». Ce pénitencier fut fermé en 1923 et transféré à Aïn Beïda. (voir un article dans l’Echo de Bougie de 09/2005 : Bagne à Bougie).
  2. Cevaneski : Jeune ingénieur italien, en désaccord avec la politique de son pays au moment ou le fascisme montait (1919), du fuir précipitamment son pays en abandonnant sa famille. Il devenait « Persona non grata ». Il est décédé, à la fin de la guerre, à l’hôpital de Bougie sans avoir revu son épouse et sa fille. Il habitait le logement de fonction mitoyen de la station de refoulement (d’après un témoignage).
  3. Un article spécial est consacré à Kefrida.
  4. Un article spécial sera consacré à Toudja dans une prochaine édition.
  5. M. Ferlay, un monsieur très érudit, était en réalité instituteur à l'école Ammour Abdelkader.
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